Yoga Sutras

Posted on 08/04/10 No Comments

Les Yogas Sutras

Généralités

L’Inde chante Patanjali. Portés par le souffle d’une mélopée, ses aphorismes prennent corps. Ils éveillent peu à peu une intuition ouverte, évolutive. Leur sens se décante.

En fait, le Yoga s’apparente à une « psychomotricité » (c-à-d. le développement de capacités de connaissance et de transformation de soi -telles l’attention, la mémoire, l’éveil, l’imagination, le rêve, l’intuition, la maîtrise de soi, etc.- par le travail du corps). L’enseignant de Yoga, au demeurant strictement fidèle aux techniques indiennes, a les moyens concrets d’établir un dialogue avec diverses disciplines éducatives et thérapeutiques occidentales.

Rappelons notre souci de proposer le Yoga à des personnes de tous âges, conditions et motivations ; ce, en des lieux aussi variés que l’école,  l’hôpital, la prison, l’entreprise, le club de loisirs, la maison de retraite.

Le texte des Sutras figure dans le syllabus d’André Van Lysebeth. La traduction de Françoise Mazet (Albin Michel, Spiritualités vivantes, n° 89) donne la version sanskrite. Les notes ci-dessous reprennent « en chœur » les temps forts du commentaire de papa.

L’arrêt des turbulences mentales

Trois mots définissent le Yoga de Patanjali : « yoga citta vritti nirodha ».

* Citta

La terminaison en “ a “ suggère une “substance”. Citta est le substrat des activités mentales (le matériau sur lequel s’appliquent des forces ; le lieu où s’exerce une dynamique). Cette « matière » est à la fois physique et mentale. En Yoga, « corps et mental » sont inséparables, parfois même indiscernables.

Nous avons donc la série : Cit, Citi, Citta :

Cit : l’un des trois termes désignant le réel essentiel, accessible à l’expérience mystique ( Sat Cit Ananda ) tel qu’en témoignent les yogis.

Cit est lumière, conscience, éveil. Cit est énergie (Citshakti), d’où l’expression « conscience-énergie ».

Citi désigne une réflexion. La lumière s’apparaît. Voilà un moment fondateur : le premier effet de Cit consiste à faire retour, se (re)connaître.

Citta – opaque, inconscient – relève de Prakriti. Citta tire sa lumière, sa lucidité, du lien entretenu avec Purusha (le couple primordial de la Conscience immuable et de la substance évolutive ; selon le Sâmkhya)

Citta interfère avec l’expérience cristalline de la « lumière incréée ». Les productions de Citta (noms et formes, mots et images ; nâma-rûpa) ont diverses origines et manifestations. Toutes font écran et provoquent l’« illusion d’optique » par laquelle nous croyons être ce qui nous arrive (dans la tête, le ventre ou ailleurs …).

Ces « formes » sont innombrables, fugaces, insaisissables : désirs, mémoires, sentiments, pensées conscientes/inconscientes, etc. Leur dynamique répond à de terribles forces (pulsions, désirs, émotions et motivations multiples et variées). Elles reposent principalement sur des couples d’opposés tels : plaisir/douleur, appétence/répulsion, amour/haine ; agrippement à soi-même, etc.

La fluidité nous renvoie au caractère dynamique, toujours recommencé, des « constructions mentales » ; qu’il s’agisse de configurations sensorielles, de réminiscences ou d’éprouvés.

* Vritti

Son étymologie (vrille) traduit le tourbillon, la turbulence.

Les  « émotions » -  vrittis par excellence  -  proviennent de formes (sensibles, énergétiques) apprises en famille (et autour) et de matrices génétiquement programmées (Charles Darwin le notait déjà). Nous nous y coinçons généralement. Sachons les modifier, les dépasser. La peur, par exemple, a quantité de nuances et fluctuations instantanées. La musique rend bien ces constituants primaires de la sensibilité et leurs compositions indéfinies (à diverses échelles du temps).

Patanjali explicite quelques moteurs de la dynamique mentale – générateurs d’événements psychiques (pour le meilleur et pour le pire). Ces effets ont en commun de s’autoalimenter en permanence ; de générer toujours plus d’actes (le karma comme résultante du passé), les propensions et germes du futur (vâsanas, samskâras).

Suspendre ce « devenir » est un objectif du Yoga (à l’échelle de l’instant comme à celle de l’existence tout entière). Cela n’exclut nullement d’être « spectateur engagé » dans la vie, le jeu social, les forces et formes de l’histoire – cf. le Karma Yoga de Gandhi en particulier).

L’immersion dans la sensation est, paradoxalement, moyen privilégié d’installation d’une attention sensible et détachée. C’est une maîtrise de soi plus subtile et efficace que la domination des sens, maîtrise inhibitrice ou déni (= faire l’autruche).

Nous l’avons vu en relaxation. Nous l’avons également détaillé dans la respiration comme expression primaire de la sensibilité (cf. les fascicules correspondants).

* Nirodha

Il s’agit de restriction, suspens, … certes, mais non de barrage, digue ou autre  obstacle rigide. Le yogi manœuvre patiemment. Posé, assis (âsana) en équilibre stable, en deçà des antagonismes agités. Attention aiguisée, il affine le détachement sensible, le contrôle intuitif, l’apaisement progressif (d’où l’importance de la constance, la répétition, l’assiduité).

L’on n’évite pas les paradoxes dans la description concrète des voies et moyens du Yoga : éveillé-endormi, respirer en apnée, libéré-vivant, immobile en mouvement, maîtrisé-spontané, etc.

Patanjali en donne des exemples précis, pratiques :

I. 33     L’amitié, la compassion, la gaieté clarifient et apaisent le mental ; ce comportement doit s’exercer indifféremment dans le bonheur et le malheur, vis-à-vis de ce qui nous fait du bien comme vis-à-vis de ce qui nous fait mal.

Sukha/dukha ; punya/apunya : deux couples d’opposés (plaisant/douloureux ; bon/mauvais) appellent une même attitude d’ouverture, de compassion. Peu importent les « qualifications » de la sensibilité personnelle !  Ainsi s’apaise Citta.

L’amitié, la compassion, la capacité de s’ouvrir à l’autre sont au cœur de l’attitude décrite. Nous sommes loin du « narcissisme » dont certains suspectent le yoga.

I. 34     L’expir et la suspension de la respiration produisent les mêmes effets.

Le travail respiratoire est réaffirmé. Cette fois il est évoqué dans son lien à la sensibilité (cf. l’expressivité du souffle ; la capacité de ressentir le souffle dans toutes ses fibres).

La pause expiratoire, base de la quiétude respiratoire, est soulignée.

Remarque : il est question ici de vidhârana (une suspension, une régulation) non de kumbhaka (arrêt prolongé, apnée).

I. 35     La stabilité du mental peut aussi venir de son activité dans l’expérience sensorielle.

Ceci éclaire la valeur donnée aux expériences sensorielles. La pratique du yoga ne se réduit pas à une fixité inhibitrice des sensations. Le retrait des sens que Patanjali préconise par ailleurs ne repose pas sur la disqualification des sens.

I. 36     Ou bien de l’expérience d’une sérénité lumineuse.

I.  37    Ou auprès d’un être  sans désir.

L’empathie, la transmission tacite dans un partage dénué d’ego-centrisme serein.

I. 38     Ou bien en rêve lucide.

Le travail spécifique de la vigilance est ici indiqué ; en particulier, le paradoxe du rêve lucide. Cela indique une voie d’approche de turiya – la quatrième modalité de la vigilance.

I. 39     Ou encore par la méditation sur un objet attrayant.

En sept slokas, Patanjali désigne d’extraordinaires moyens de réalisation de soi.

Et d’ ajouter :

I. 41     Turbulences apaisées, tout comme un cristal transparent reflète son support, le mental est totalement réceptif vis-à-vis du connaissant, du connu et de la connaissance.Tel est Samâpatti.

Nous retrouvons la conscience-reflet. De même voyons-nous la triple interaction du connu, du connaissant et de la connaissance : ils se déterminent mutuellement. Une attention lucide et détachée les contemple conjointement.

Une précision : « grahana » signifie saisie, préhension, captation (compréhension, aperception, etc.). Ce point note l’importance des « gestes ». Il nous faut « lâcher-prise » ( des mains, mâchoires, yeux, nuque ; certes. Mais aussi des sentiments et autres « saisies et agrippements explicatifs » )

Evoquant « ce que la pensée ne peut concevoir mais par quoi la pensée est pensée » (Kena Upanishad, I, 4-8), La Bhagavad-Gita dit aussi (XIII, 17-18)  :

« Cela est la lumière des lumières au-delà de l’obscurité. (…) C’est ainsi que le champ {de la connaissance}, la connaissance et l’objet de la connaissance peuvent être considérés comme une même entité »

En résumé

Le yoga valorise la pratique régulière, l’immobilité, la focalisation de l’attention, du corps ; le lâcher-prise (ce détachement sensible et orienté). Ainsi se dépouille et s’aiguise peu à peu l’ici-maintenant de l’expérience consciente.

Quand les formes surajoutées à la claire lumière de la conscience se dissipent, Cela-qui-connaît fait l’expérience de la Lumière à l’état pur (d’où la notion de « spectateur »). Elle est ouverte, illimitée ; dépourvue d’objet particulier, de forme, de représentation. Elle resplendit en sa vérité.

Cette présentation du Yoga tend à se banaliser, se ressasser. Tout l’art consiste à en retrouver la puissance initiatrice, l’éblouissement. Comment libérer nos capacités de rencontrer l’inconnu, le « tout autre » ?

Ne perdons pas de vue que nous cheminons en direction de « Cela » dont la Kena Upanishad dit :

« (…) Comment pourrions-nous l’expliquer ? Cette chose qui est autre que tout ce qui est connaissable est au-delà de l’Inconnu » (I, 3)

Et la Bhagavad Gîtâ de noter :

« (…) On ne peut affirmer que cela existe ou n’existe pas. (…) Cela (…) habite le cœur de tous » (Bh. G., XIII, 12-18)

La visée spirituelle, voire mystique, est essentielle au Yoga. Un enseignant doit être au clair avec ces perspectives (même s’il ne les développe pas au cours). Cet « aplomb identitaire » fonde la transmission, l’expérience partagée.

Faire usage de Patanjali

Les traductions des aphorismes varient fortement. Raison de plus pour laisser le sens en suspens ; le décanter.

Voici l’exemple de versions à peine divergentes, ouvrant la voie à des techniques totalement différentes, voire opposées.

I, 38     :

* Ou en fixant le mental sur une expérience de rêve, ou sur l’expérience du sommeil profond. (A. Van Lysebeth)

*          Ou bien en restant vigilant au cœur même du sommeil et des rêves. (Fr. Mazet.)

*          L’exploration de nos rêves, de notre sommeil et des expériences faites dans ces états ou en relation avec eux est un facteur de clarification pour certains de nos problèmes.

(T.K.V. Desikachar, Yoga-Sûtra de Patranjali, Ed. Du Rocher, p. 33)

Une lecture s’oriente vers l’interprétation des rêves ou, tout au moins, l’utilisation de leur contenu pour résoudre des problèmes existentiels. Les autres se désintéressent du contenu et prennent la question de l’éveil/sommeil à bras-le-corps. Elles développent l’accès à la conscience-reflet, au Témoin présent même dans l’inconscience du sommeil.

Ishvara, Om (Y. S., I, 24 à 27).

Ishvara désigne un être non-conditionné (hors-histoire : sans passé ni futur ; libre du devenir - auquel nous sommes assujettis). Il est sans karma, vâsanas, samskâras, etc. Est-ce un « sujet » (-ish) ? Est-ce une personne ? Si oui, l’étude comparative avec la Foi chrétienne, par exemple, appelle un examen attentif. Soulignons que le comparatisme mystique, religieux, psychologique nécessite une méthode rigoureuse. Gardons-nous de tout syncrétisme.

Ishvara est unique ; source de « grâce », de révélation. C’est l’antar guru (gourou intérieur) des premiers rishis (sages).

Omniprésent en Inde, Om chante Ishvara. Om dit toute parole possible, tous les états de conscience possibles. Ce vocable (ekakshara) incarne la forme connaissable de la transcendance. Om est pranava.

Sa répétition, qui n’a rien d’une incantation, en révèle peu à peu le sens. Elle fait écho à l’origine (et fin) de toute chose.

Pranavajapa peut être audible (vaikhari), murmurée (upânshu), mentale (mânasa).

A : le soleil, l’éveil ; U : la lune, le rêve ; M : le feu, le sommeil profond ;

AUM : Citakâsha, turiya.

Om participe à tout rituel (pûja), tout geste sacré.

Gunas

« Le mot guna (…) apparaît pour la première fois dans le sens particulier des trois tendances fondamentales dans la Maitrî Upanishad) »

« (…) cette triade pénètre toutes choses et apparaît à la base de tous les aspects de l’univers physique et mental. Ces trois forces fondamentales, ne peuvent, dans leur essence, être saisies par la pensée (…) » (A. Daniélou, Le Polythéisme hindou, p. 50).

Connotations :

Sattva :                       légèreté, équilibre, subtilité, etc. ; rêve (swapna);

Tama :                      inertie, lourdeur, etc. ; sommeil profond (= non-agir de la pensée,                                           sushupti);

Raja :                   puissance d’expansion, expulsion ; force centrifuge ; dynamique                                                                        d’action, … ; veille (jagrat);

Les qualités « sattviques » d’un élément favorisent sa sublimation, sa métamorphose évolutive (un « mental sattvique » facilite le passage au registre « sans pensée ni désir », au-delà du mental).

Les mêmes qualités s’appliquent aux faits physiques, psychiques, etc. et suggèrent des effets correspondants ; des résonances. Une alimentation rajasique (carnée) stimule et renforce les tempéraments de même type.

Tapas :           ascèse : moyens de favoriser l’ardeur, d’activer le feu du Yoga.

Ishvarapranidhana (II, 45) : l’abandon « à la grâce de Dieu ». Nous agissons. Nous faisons  des exercices. Mais, fondamentalement, notre tâche consiste à créer les « conditions de possibilité » de l’éclosion du yoga. Nous ne produisons rien. Nous nous rendons réceptifs aux effets possibles ( qui dépassent notre entendement et notre volonté ).

C’est une ouverture à l’action du « tout autre » en soi, au don gratuit du « gourou intérieur ».

Ce détachement s’applique à l’échelle de l’instant (l’attention), de l’exercice, d’une série, et à celle de l’ensemble du cheminement.

Samtoshâ ( sloka II, 42) : l’acceptation (non passive) des événements, des êtres et des choses transpose cette attitude à la vie quotidienne.

II. 6     Le sentiment de l’ego vient du fait que l’on identifie le spectateur et le spectacle.

Décortiquer, explorer, ouvrir, l’expérience sensorielle est une base du travail yogique. Toutes les explorations cognitives sont essentielles ; d’où la nécessité des pratiques multiples et variées en la matière.

II. 21   La raison d’être de ce qui est vu est seulement d’être vu.

II. 7 – 9 : relie les deux couples d’opposés par l’intermédiaire de la mémoire et l’anticipation :

Stûla/sukha ; râga/dvesha.

Seule issue : l’ici-maintenant, la « sortie » du temps (celui du devenir, des désirs, craintes, etc. et autres morsures du « désir crispé de vivre », l’agrippement existentiel.

L’attention contemplative ouvre la voie.

Les huit membres du Yoga

(II, 29)             Il s’agit bien de « membres » non de niveaux sur une échelle. Une direction évolutive est indiquée, mais servons-nous de plusieurs membres à la fois !

Yama, niyama : tout Yoga repose sur des valeurs morales, interpersonnelles, et l’art de se bien conduire.

Asana – Pânayâma :

II, 46   :           Sthirasukham âsana

Stable et agréable : deux caractères de définition de la posture. Mentionnons l’âsanajeya (la joie du yoga ! ! )

Après la résolution des dualités, des antagonismes conflictuels ( ce qui agite le singe dont nous attendons qu’il vienne s’asseoir au pied du piquet – colonne vertébrale ),

Par l’abandon à l’illimité, aux espaces ouverts de la conscience détachée (et à l’expérience d’un « ici-maintenant » décrispé du besoin de se situer, s’identifier, se repérer ….) – le prânayâma s’installe (il résout les dualités inspir/expir par le rythme, le débit, l’insertion en des lieux mystérieux du corps et, surtout, le suspens).

Le rôle du suspens est tel que la durée d’immobilité du geste respiratoire peut être critère des divers degrés ou moments d’évolution en l’ Ashtanga Yoga (Yoga au huit membres).

(II, 49 – 51)

Le Souffle libère la Lumière (l’incréée prakâsha, expression de la conscience). Ainsi accédons- nous aux diverses modalités de la méditation yogique.

Patanjali insiste sur la suspension du « respir manifeste ». Ce  « nirodha de la respiration » ouvre à l’expérience du souffle.

En particulier, notons la belle énigme :

II, 51   : Une quatrième modalité de la respiration dépasse le plan de conscience où                      l’on distingue inspir et expir

(Fr. Mazet.)

L’autre forme de pranayama est l’arrêt du souffle causé par la concentration                 sur un objet extérieur ou intérieur

(A. Van Lysebeth)

Alors le souffle transcende le plan de la conscience

(T.K.V. Desikachar)

Swami Shivananda précise que cette quatrième modalité est Kevala Kumbhaka, la plus haute forme de pranayama (Raja Yoga of Patanjali, Divine Life Society, Rishikesh, 1950 ; p. 127).

Soulignons que Patanjali ne détaille pas l’énergétique du souffle. Le terme kundalîni ne figure d’ailleurs pas dans les Sûtras.

Pratyâhâra

Retrait des sens : voir les syllabus et fascicule n°4 (pp. 13 et 14)

II, 45   Par l’abandon à Ishvara, s’accomplit la réalisation du Samâdhi

Point n’est besoin de pratiques multiples et variées. L’essentiel : s’abandonner, s’ouvrir à l’action d’une Puissance inspiratrice, transcendante. Celle-là même qui inspira les yogis originaires.

Une pratique « volontariste » est aux antipodes cet abandon ; de même la recherche d’effets sous l’œil de l’ego.

Ce cinquième membre achève le bahiranga yoga (ascèse « externe » préparatoire à une « intériorisation » sans commune mesure avec la concentration). Au terme de Pratyâhâra, l’adepte isole Citta.

II, 54   Quand le mental n’est plus identifié avec son champ d’expérience, il y a comme une réorientation des sens vers le Soi

(Fr. Mazet)

Quand le mental est retiré des objets extérieurs, que les organes des sens se retirent des divers objets et représentations et imitent le mental, cela s’appelle pratyahara

(A. Van Lysebeth)

Dharâna, Dhyâna

Samyam désigne la conjonction de Dharâna, Dhyâna et Samâdhi.

Libéré du champ (externe), le psychisme se dissout désormais en des éléments subtils – les constituants ultimes de la manifestation. Il les connaît, les « travaille » de l’intérieur.

Plus intense que Tratak ou Ekâgrata, Samyam développe des intuitions et pouvoirs fabuleux :

présages, les réminiscences, etc. Il absorbe dans : le soleil, la lune, l’étoile polaire, la pensée d’autrui (III, 19). Mais Patanjali d’ajouter aussitôt (III, 20) :

Mais on ne connaît pas le Centre : l’essence de l’être ne peut être objet d’investigation.

Le Samyam peut viser divers foyers corporels et susciter une intuition essentielle (gnose, jñâna) correspondante. Ces « sciences infuses » émanent de divers foyers :

Nâbhi (ombilic) : fait connaître la physiologie subtile

Kantha (gorge): supprime faim et soif                                                                         Kurma (poitrine): stabilise

Hrid (cœur) : révèle les secrets du psychisme

Swami Shivananda cite des exemples légendaires :

-          l’entrée dans le corps d’autrui (III, 39) : Sankaracharya entra mentalement dans la dépouille du Raja de Bénarès et la ranima;

-          par la pratique de Keshari Mûdra, le yogi se nourrit du nectar coulant de Sahasrâra (p. 309)

Le Samyam ouvre l’accès à des expériences sensorielles indépendantes des organes des sens. Mais, ces perceptions para-normales sont des obstacles dans la voie du Samâdhi quand leurs pouvoirs s’écartent du Centre (III, 38). Les versets III, 51 et 52 répètent la mise en garde.

Samâdhi

III, 3    :           Quand la conscience est en relation avec Cela même qui n’a pas de forme,                      c’est le Samâdhi

Les derniers slokas éclairent les premiers :

IV, 30  Grâce à cette forme de Samâdhi, cessent les causes de souffrance et le Karma.

Les kleshas (causes du fourvoiement originaire et des douleurs qui s’en suivent) et le moteur du devenir - les processus du karma – s’arrêtent (nirvritti)

IV, 31  Et, en regard de l’immensité de la Connaissance libre de toute obscurité et de toute        impureté, le domaine du savoir est insignifiant.

(Fr. Mazet)

IV, 31  Lorsqu’un mental est libéré des voiles qui empêchaient la perception, tout est connu,      plus rien n’est à connaître.

(T.K.V. Desikachar)

IV, 32  Alors le processus de transformation des Gunas arrive à son terme, leur raison d’être    ayant été réalisée.

(Fr. Mazet)

IV, 34 La réabsorption des Gunas, privées de leur raison d’être, par rapport au Purusha,         marque l’état d’isolement de la conscience dans sa forme originelle.

(Fr. Mazet)

IV, 34 Lorsque le but suprême de la vie est accompli, les trois qualités fondamentales    n’incitent plus le mental à réagir. C’est la liberté. En d’autres termes, « ce qui            perçoit » se présente sans aucune coloration du mental. Fin.

(T.K.V. Desikachar)

La conscience est ici nommée : Citishakti. Elle retrouve son essence (svarûpa). Ce retour aux sources, véritable évolution à rebours (pratiprasava) du travail des gunas, restaure la splendeur inaltérée de Purusha.

Vérité du Soi (svarûpa) reconnue, nous sommes déconditionnés, autonomes (kaivalya).

Le Jivanmukti, Sujet Libre, connaît la formule védique :

Tat tvam asi

Tu es Cela

Trimurti

Triple figure mythique, la Trimurti représente la dynamique à l’œuvre dans la manifestation.

Son action anime le jeu, la magie créatrice des formes de l’être,  Mâyâ.

VISHNU

Lorsqu’il dort, l’univers se dissout en latence. Il est identifié à l’état de rêve (swapna ).

L’être involué est figuré par le serpent Shesha  ( ou Ananta ) enroulé sur lui-même, flottant sur les eaux. Vishnu assoupi est appelé Nârâyana.

Parmi ses attributs :

-la conque : elle rend la vibration originelle audible;

-la guirlande représente la Mâyâ ;

Il a dix Avâtaras , dont Krishna et Bouddha. Kalki reste attendu.

SHIVA

Les Upanishads le décrivent comme un abîme sans fond : « par-delà cette obscurité, ne se trouve ni jour, ni nuit; ni existence, ni non-existence »

Appelé, roi de la danse (Natarâja), au-cou-bleu (Nîlakantha), couronné-de-lune (Chandra Shekara), support-du-Gange (Gangâdhara), au-collier-de-crânes (Kapâlamâlin),…

Shiva, vêtu d’espace (Digambar), couvert de cendres, est Mahâ Yogi (le grand yogi).

Ses yeux sont le soleil, la lune, le feu. Son trident : Idâ, Pingalâ, Sushumna. Les cendres sont le résidu de la crémation créatrice des foyers du corps subtil. Le damaru est l’instrument de la pulsation originelle (le bindu mis en branle).

Sa monture : le joyeux taureau, Nandi.

Le croissant de lune porté en diadème n’est autre que la coupe d’élixir sacrificiel (Soma).

Le territoire de l’Inde, corps sacré, symbolique, a cinq lieux sacrés où s’élèvent les temples dédiés aux signes (Linga) de la puissance de Shiva :

à Kânchi correspond la terre;

Kâshî, l’eau;

Tiruvanamalai,  le feu;

Kâlahasti, l’air;

Chidambaram, l’extension (akâsha, dont les espaces physique et psychique sont l’expression).

Ramâna Mahârishi vécut au Mont Rouge, le lingam de feu d’Arunâchala (à Tiruvanamalai).

BRAHMA

Envisagé comme l’oeuf d’or (Hiranyagarbha) dont naquit l’univers, il est la première entité existante. Il est né-de-soi (Svayambhû) et progéniteur universel (Prajâpati). Quand la manifestation réapparaît dans le sommeil de Vishnu, il vit au coeur du lotus issu de son ombilic.

Brahmâ est vénéré dans le temple Pushkar près d’Almer (Rajpustan).

Sa monture est Hamsa , le cygne du souffle vital.

Glossaire de base :

Bîja                            : semence, germe, graine

Bindu                         : point sans dimension, foyer originel ; concentré d’Etre

Cit                             : Conscience-Lumière originelle

Cittavritti                  : turbulence du mental

Drashtar                    : Spectateur, Témoin immuable

(Soi,  Cela qui fait l’expérience de la Lumière-Conscience)

guna                          : qualité( essentielle, active)

Gourou                      : maître spirituel

Ishvâra                      : Personnification de la Conscience absolue ; gourou des rishis

japa                           : mélopée, incantation

jñana                         : connaissance (transformatrice, révélatrice)

Kaivalya                    : autonomie, déconditionnement, liberté essentielle

karma                        :déterminisme des actes (résultante du passé, germe du futur,                                                                    rets du devenir)

klesha                        :obstacle, écran, effet  de l’ « illusion originelle » - cause de                                                                     fourvoiement, donc de douleur

Mantra                      :vocable, moyen d’élucidation  du « réel vibratoire »

nidrâ                          :sommeil (l’Eveil Quatrième est « turiya»)

Om                             :condensé de parole, vibration essentielle, expression primaire                                                                  de l’être (pranâva, omkâr, Ishvâra…)

Purusha                     :pôle du couple originaire ; Cit

Prakriti                     :L’autre pôle de la  « dynamique originaire ». De Prakriti                                                                          émanent toutes les formes et forces de la « manifestation »

(Sva)rupa                  : forme (vraie, essentielle)

samâdhi                     :Connaissance mystique, ultime, expérience de la Lumière

Samkhya                    :L’un des six points de vue philosophiques classiques de l’Inde

(n’envisage pas le Tantra, par ex.). Associé au Yoga.

samskâra                   :souvenir, trace, réminiscence, mémoire agissante

vâsanas                      :tendance, penchant, propension, (im) pulsion

Yoga                           :-yug ;   joindre, unir, (ré)intégrer

© Willy Van Lysebeth  Tous droits réservés

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